Episode 8: Premiers et derniers

Les élans de ma motivation sont très combatifs, ils sont autant combatifs qu’un ballon gonflé à l’hélium qui provoque l’attraction terrestre en s’envolant à contre-sens.

Quand il s’est agit de s’inscrire au cours de Yoga a 6h30 du matin proposé par Bala professeur en titre, j’étais aussi enchantée qu’un ballon d’hélium qui récupère sa liberté vers le ciel. J’étais bien sure d’y aller 3 fois par semaine à 6h30 pétantes. Puis mon ballon d’hélium a rencontré une épine sur son chemin, l’épine, c’est les 3heures du retour de Tanjore de la veille sur la banquète précaire aménagée dans le coffre. En ouvrant les yeux à 6h25, j’aperçois Julia prête en jogging/baskets devant la porte. Julia que je commence à connaitre, est le type de fille qui se réveille aux aurores et qui achète du thé bio dans les supermarchés, le genre de fille venue à Madurai pour laver des vieux dans un mouroir. Bref une fille saine qui fait de l’humanitaire sans tricher et qui te donne l’impression d’être un sumo égoïste. Mais Julia est devenue ma coloc’ à part entière, on partage tout, par exemple elle m’a prêté son dentifrice à l’hôtel de Trichy, alors j’interdis à quiconque de s’attaquer à elle.

Donc Julia m’attend devant la porte, parce qu’en plus elle est polie et m’attends toujours, moi qui laisse la lumière allumée la nuit pour lire pendant qu’elle dort. Je me vois de l’extérieur sortir en pantalon de pyjama rayé et chaussures roses fluo, les cheveux en friche, mais je me rends compte que je suis réveillée une fois que le soleil ma ’irradie ma face et que ma silhouette de clown bourré a rejoins le toit de l’immeuble de la rédaction ou se déroule le cours.

Lorsque je m’assois sur le tatami, mon corps s’exprime, la visite des temples et surtout la montée des escaliers vertigineux (ou pas) m’ont fait d’énormes courbatures que je peine à dissimuler mais quand même,  je ne vais pas me ridiculiser à raconter à un prof de Yoga que j’ai des courbatures parce que j’ai monté quelques marches d’un temple ! Alors je ne dis rien.

En disant bonjour “au master” et en prenant la position du lotus, je feins un rictus mi-sourire/mi-grimace qui n’a pas l’air de le convaincre. J’essai encore plus fort mais il me demande si je ne suis pas  malade, j’en conclus que je ne serai jamais bonne comédienne. Pendant que Huriko (position du Lotus parfaite) et Julia (position du bonjour au soleil parfait) suivent les 12 étapes de ce que j’appellerai en tant que néophytes des« étirements » avec toute la grâce de leurs corps souples dans ce bain de soleil , je m’effondre en nage sur mon tatami comme une plaquette de beurre au soleil. Bala me prends en pitié parce qu’il propose de commencer la méditation, de fait il n’y a plus de discrimination : nous sommes toutes les trois allongées. Le soleil et le vent sur mon visage me font profiter de l’instant, je me sens bien, comme un cerf-volant. La séance de méditation me rappelle que je n’ai pas pris de petit déjeuner.

Lorsque j’arrive au boulot, Pudja me colle 5 articles à rendre et un atelier à préparer pour une école à Madurai sur « les qualités  du journaliste »- le tout à terminer avant la fin de la semaine. Je sens qu’on veut me faire payer mon retard. Je penserai à éviter le terme « ponctualité » au sein de l’atelier. Il vaut mieux éviter le mensonge puisque je suis mauvaise comédienne.

Le soir nous décidons avec Julia et Huriko d’aller au Big bazar qui porte bien son nom.  Sur la route, le conducteur du Rickshaw s’arrête 2 fois pour passer un coup de fil, et 1 fois pour prendre un thé, rien d’anormal et je ne gueule même plus. En passant les portes du Big bazar suis prête à payer cher, très cher  (1euro ? 2euros ?) pour un morceau de fromage. Je n’ose rêver à une buche de chèvre, à du morbier ou du gorgonzola mais un minuscule morceau de gruyère me rendrait la française la plus heureuse du monde. Sur les étalages se déploient toutes sortes de riz, des pates, des chips et des gâteaux. Le rayon « frais » est quasi-inexistant mais vu la chaleur et la qualité des frigos, il est peut-être mieux ainsi. J’achète une brique de jus d’orange pur jus de couleur fluorescente et dévalise le rayon baygon. Je rentre chez Latha’s family la peur au ventre d’avoir encore à bouffer du riz.

Latha a préparé des chappattis mais qu’importe Alexandre m’a écrit. Ses mots sont différents de ceux de d’habitude.  Il m’a lu ici-même (jusqu’au bout du rouleau)  ou plutôt il s’est lu comme un auteur qui entend sa chanson chanté par un inconnu à la radio. Je me sens tellement bête, humide et ridicule que pour une fois j’ai envie d’être pudique.

(Avortement et fin des séquences Alexandre. Ici et peut-être partout ailleurs.).

Episode7: Trip1- Trichy + Tanjore

Plus de chambre, plus de Latha’s family, plus de petit Jésus, nous sommes vendredi et les deux prochains jours  je perds mes nouveaux repères pour une première excursion à 3h de bus de Madurai. Juliette (l’autre française) , s’est chargée de réserver les titres de transport et l’hôtel (merci guide du routard), pour 8 des volontaires motivés. Nous venons de France/d’Italie/d’Angleterre/de Hollande/ d’Allemagne/du Japon et du Danemark, mais le prix de l’anglais le plus pitoyable se dispute encore entre les deux françaises et la japonaise. Avec nos sacs à dos, nous allons à la rencontre de deux villes immondes qui ont édifiées en parfait contraste, des temples d’une beauté indécente. Un tableau globalement raturé et brouillonneux qui déploie une fulgurance, ça me rappelle un peu moi. Ces villes se nomment Tiruchchirappalli (Trichy pour les intimes)  et Thanjavur (Tanjore pareil).

Direction Trichy -Une fois installés dans l’antre du bus et que le noir de la nuit a confortement prit place, un écran derrière le conducteur commence à diffuser un film-comédie musicale. La musique de ce film ou le film de cette musique a le son au bout du rouleau (comme mon cadeau de bienvenu de Julia dixit episode6). L’amour chante si bien, il est si simple, si facile, et si coloré, que le volume perd de son agressivité.  L’insolvable et le complexe n’existent plus, le lapin sors du chapeau et je me laisse emporter comme une petite barque dans un courant tranquille. La bulle est hermétique à la fièvre endiablée de la route et des rues, le bus est seul au monde lorsqu’il s’enfonce dans la nuit. Je dévisage la lune au travers de la fenêtre, elle est pleine. Comme moi.

Arrivée à la gare de Trichy vers minuit et demi, la foule est si concentrée autour de la centrale de bus que l’endroit devient franchement étriqué tel un nid de fourmis autour d’un grain de riz sauf que je suis aussi une fourmis mais je veux quitter cet endroit de fou.

Je reprends contact avec cette réalité qui ne connait pas de repos : les petits épiciers dégagent une odeur de curry et de thé, des épais nuages de fumées se dégagent des petites échoppes qui cuisinent des sortes de crêpes pendant que d’autres vendent à même le sol des fruits et des légumes. Je ne suis plus surprise par la saleté ni par les mouches qui se mêlent à la nourriture, ce cadre est omniprésent. En revanche, je suis étonnée que les bonnes odeurs ne copulent pas avec la puanteur de la boue verte du sol comme elles le font ailleurs. La surpopulation scrute notre peau blanche moyenner le prix de 2 Rickshaws pour 8, direction l’hôtel hight point.

Le paysage défile ainsi que le véritable paradoxe contenue dans la réalité indienne. Il y a celle de l’homme et il y a celle de la ville.

L’indien est une personne modérée tandis que sa rue correspond à l’image que l’on se fait des champs de bataille. Les odeurs, les bruits, les couleurs sont maintenus constamment à saturation, cet environnement constitue, pour nous européen, un hymne à la décadence de l’équilibre. Parallèlement aux ruines se trouve l’indien et son flegme, l’esprit et son calme, sa tranquillité. Pauvres et sales, ces indiens ont des structures traditionnelles si opaques à toute considérations extérieures, que les douleurs maigres comme la colère ou la dépression ne font pas parti de leur quotidien, ils vivent c’est tout.  La révolution ici n’aurait pas pu être autre que « non-violente » parce-que la violence ne fait pas parti de leur tempérament, en revanche elle est prégnante à chaque coin de rue et atteint son paroxysme sur la route.

Jean Teulé avec son magasin des suicides peut aller se rhabiller tant ses méthodes sont inefficaces en comparaison à la route indienne. La route est un moyen quasi-certain de se tuer facilement, et ce de façon tout à fait gratuite. Inutile de se ruiner pour du fugu à tokyo ou de gicler sur les railles de métro parisien, venez en Inde et poser votre pieds nu ou chaussé sur la route, c’est le moyen le plus sur d’être faucher comme un arbre par une tronçonneuse. Au milieu des Rickshaw, au milieu des vaches, des taureaux, des chèvres, des cochons, des milliards de moto abritant un homme, souvent un enfant devant et presque toujours une femme derrière. Cette population diverse et variée s’enfonce parfois en toute quiétude dans les trous du sol en cuvette recouverte de flaques verdâtres et profondes.

Je crois que je tiens à la vie parce-qu’ en arrivant, je me suis souvenue des derniers mots d’Alexandre avant de prendre l’escalator « n’oublies pas de regarder des deux cotés de la route ». J’ai regardé des deux cotés de la route et je suis devenue une fille audacieuse, le soir pour aller acheter un ananas et une bouteille de coca à l’épicier d’en face, j’attends qu’un indien du même bord que moi veuille bien traverser la jungle et je me colle à lui du premier pas jusqu’au bout (du rouleau ?). Pareil pour le retour, avec un sac en plastique en plus. Ce qui est embêtant c’est quand il n’y a personne ou quand mon temps de réaction est trop lent ou plutôt, pas suffisamment rapide. Je suspecte d’ailleurs que les épiciers des deux cotés de la route de mettre en place des paris sur mon temps d’attente.

Lorsque nous arrivons à l’hôtel, il est déjà une heure du matin, et nous découvrons une eau chaude et un support autre qu’une planche de bois pour dormir. Etrange chose férocement addictive.

Pendant mon sommeil je rêve qu’un verre (propre) de jus de clémentine et un petit croissant aux amandes m’attendent sur ma table de chevet. Oui, je suis une incorrigible optimiste et comme pour tous les optimistes, les réveils sont douloureux, surtout à 9h55 (le petit déjeuner terminant à 10h) quand un plat de nouille aux herbes et de riz en sauce curry te disent te bonjour. Je ne vous souhaite jamais pareille frustration, si nous étions la nuit, j’aurai chialé pendant des heures mais nous sommes le matin alors je m’accroche et réclame promptement un jus de clémentine. On me propose du jus de pastèque. Pourquoi pas.

Vers midi, tout le monde est prêt, nous embarquons dans une voiture ayant deux banquettes dépliables dans le coffre qui nous emmènent droit au temple Srirangam. A l’entrée nous enlevons nos chaussures mais je ne regarde plus les pieds maintenant, je regarde les têtes. Tel des chapeau, les indiens exhibent des sacs en plastiques bleus turquoises, de la même couleur que mon parapluie. Un indien différent des autres par sa capuche noire et pointue se propose d’endosser le rôle de guide 1heure de temps.

Durant la visite du lieu, le ciel se déchaine, la pluie explose comme une bombe nucléaire. Elle est torrentielle, le ciel est en crise, je suis au bord d’une phase maniaque. Le ciel est heureux ou en colère, je l’accompagne c’est irrépressible et de là commence un cercle vertueux dans lequel le ciel et moi conversons par torrents interposés, le reste de la terre n’étant que poussière. Je comprends donc la capuche du guide, mais je ne comprendrai jamais le pointu de la capuche.

Les temples sont comme des grandes salles d’attentes dans lesquels les hindous s’asseyent et mangent par terre en famille. Ils allument des cierges sous les peintures de Shiva, portent des fleurs au statues de vaches sacrées puis se rendent voir un prêtre pour qu’il porte à leur fronts une sorte de craie pilée blanche ou rouge censée repousser le diable, la fameuse marque des hindous. Bien sur les principales salles de prières sont placardées d’inscription « Only Hindous » et nous sont donc inaccessibles.

Les visites s’enchainent  jusqu’au soir ou nous nous bourrons tous la gueule dans le bar de l’hôtel en hommage à Gandhi. Huriko ne supporte pas ses 2 verres, moi je chante/beugle  à l’oreille de Julia toutes les chansons commerciales américaines qui passent dans le bar.

En allant me coucher je la remercie d’être ma super coloc’ de chambre d’hôtel et de maison d’accueil parce-que je me sens bien avec elle. Sur ces mots sérieusement alcoolisés et dégueulasses d’amour à l’autre, je m’endors une deuxième nuit dans un vrai lit.

Le lendemain j’évite la frustration du petit déjeuner, je n’y vais pas.

 Direction Tanjore -nous reprenons la route direction Tanjore, le temple Brihadesvara classé au patrimoine de l’UNESCO, l’un des plus grands temples de l’Inde. L’édifice est écrasant, je ne suis même plus une fourmis, ce temple me donne l’impression de ne plus exister . Je décide moi aussi de porter la marque de fabrique indou et de m’aventurer réclamer à un prêtre une pincée de la craie pilée rouge pour mon entre-yeux, le prêtre a l’air de s’être rendu compte, comme moi depuis ma naissance, que mon visage est difforme parce qu’en me voyant tendre la main il me donne subitement le dos en marmonnant quelque chose en une langue qui à priori doit être tamoul. Evidemment ma main droite est occupée à porter mon appareil photo, je lui ai tendu ma main gauche. Je viens de faire une énormité alors j’ai envie de lui dire : je suis européenne, je connais le papier toilette, ma main gauche est l’égal de ma main droite. Mais je sais bien que le mal est déjà fait.

Sur la route du retour à Madurai, dans le siège aménagé du coffre, j’ouvre mon bouquin et je découvre Fantine et Tholomyes.

Fantine est innocente, rêveuse, ignorante. Tholomyes est mature, insolent et bon orateur. Elle l’aime, il a l’air de l’aimer et le lui prouve en lui offrant la plus grosse surprise de sa vie : il la quitte en lui laissant une lettre un jour de printemps. Elle est enceinte –Pause .

Je suis comme tous les hommes, je cherche le fautif de ma colère pour la retourner contre l’agresseur lui-même alors je me pose cette question: a qui dois-je casser la gueule ? à l’ignorance de la fille? à la perfidie du garçon ? Au rêves ou aux bons mots ? Je ne sais pas lequel est le plus détestable mais je suis convaincue que, pour le moment, Hugo nous incite à aimer ses personnages pour mieux souffrir de leurs déchéance. Il construit un saint homme, Monseigneur Bienvenue, puis le rend de plus en plus inconsistant en forçant le trait chaque mot davantage.  Hugo construit les boucles gracieuses et dorées de Fantine, puis les cachent sous le fichu d’une maternité amère. Pourquoi? Qui a-t-il de beau à regarder la déchéance dans les yeux ? Peut-être y a-t-il du vrai,  mais je ne suis pas sure d’être une adepte des romans pour le vrai, c’est la fonction des journaux, pas des romans.

Retour chez Latha’s family, retour sur ma planche de fois, retour de la compagnie des blattes dans la douche et des spasmes.

Episode6: Intrusions intempestives

3h45 heure locale

            Les épices du diner d’hier soir ont manifestement autant brulés ma conscience que troublés mon estomac -ou l’inverse- parce-que je suis en ce moment-même en proie à une étrange hallucination visuelle. De grands yeux noirs et brillants sont fixés sur moi dans la pénombre. Autour de ces yeux se dessine une sorte de silhouette fine d’environ 1m80 au visage maigre et enfariné, surmonté de cheveux noirs coupés courts,  une valise aux pieds. Les yeux et leurs accessoires pénètrent dans ma chambre et s’installent de manière toute à fait frauduleuse dans l’un de mes trois lits.

Je ne suis pas dupe, cette chose a du s’égarer, Latha lui indiquera la station de bus la plus proche demain dès l’aube (à l’heure ou  blanchit la campagne de l’Inde), mais je n’apprécie pas que l’on sous-loue mon espace aux sans-abris sans m’avoir consulté au préalable,-et vous m’avez compris- mes voisins sont déjà suffisamment bruyants. Altruiste malgré-moi donc, je me rendors paisiblement.

Lorsque j’ouvre les yeux une demi-heure plus tard, la présence respire toujours mon oxygène, elle occupe encore mon territoire. Je ferme les yeux encore plus forts. Définitivement trop épicé ce plat, Huriko m’avait pourtant déconseillé cette sauce visqueuse aux champignons, mais que voulez-vous la nuit rend les risques irrésistibles.

9H00  heure officielle de ma présence à la rédaction / heure officieuse de mon réveil.

Je récupère comme un automate les informations éparses unes à unes: valise, yeux noirs, peau blanche. Valise, yeux noirs, peau blanche. Peau blanche, valise, yeux noirs. Plusieurs tentatives, même résultat.

On veut me faire héberger un sans-papiers d’un pays d’Europe de l’Est, malgré-moi. Mais que viendrait foutre un sans-papier à Madurai ? Il n’y en a même pas du papier ici d’ailleurs. Aucun indien n’utilise de papier toilette, ils trouvent cela sale. Comment font-ils ? vous vous souvenez de l’histoire de la main gauche ?

Bon. Qu’importe, ce territoire qui m’appartient vit en ce moment-même une intrusion intempestive. L’unique lieu ou l’exercice de ma toute puissance peut reprendre ses droits et s’épanouir risque de m’être arraché tel un bout de pain à un affamé. Mon autorité sur le temps et l’espace risque l’écroulement, ma liberté fondamentale risque sa peau. C’est un complot contre ma personne, première véritable attaque contre la communauté des chaussés.

Ainsi donc, on souhaite me priver d’air ET  d’espace. On me déracine de mes terres pendant mon sommeil comme une malpropre et, on me met des pinces à linges sur le nez (enfin c’est tout comme). L’océan immense de tranquillité dans lequel je nage depuis maintenant 9 jours risque d’être déshydraté, asséché comme la gorge d’un octogénaire. Il faut agir vite, vous ne croyez quand même pas que je vais vivre le nez bouché dans une piscine vide.

Voici les règles de la mission: investir toutes mes forces dans la bataille, sortir l’artillerie lourde. Cette douce apparition bénéficiera d’un beau cadeau de bienvenue, le même que son cadeau d’adieu. Mais pas tout de suite, toute de suite je vole au temps quelques minutes ou le rêve et la réalité se confondent encore pour songer au fait d’être seule sur terre.

9h30

A lire sur l’air de ma nichtana. En quoi cette matinée est-elle différente de toutes les autres matinées (de toutes autres matinées). Tous les matins de l’année je m’extasie de l’infini silence du ciel, mais ce matin je me sens attirée par la touche du volume du son l’Itune, qui passe délicieusement de la gauche vers la droite, jusqu’au bout du rouleau (jusqu’au bout du rouleau). Tous les matins de l’année, je me suffis de la lumière du soleil qui ouvre ses yeux au même rythme que moi, mais ce matin je suis attirée par la lumière électrique (lumière électrique). Le volume indécent du son et les lumières électriques qui grésillent m’accompagnent pour mon entrée magistrale, la première scène du spectacle.

J’ouvre la porte de la salle de bain dans laquelle je me trouve tel un cochet ouvre la porte d’un carrosse mais sans veste, en stricte tenue d’Ève, les cheveux dégoulinants de shampoing. J’éclaircie ma voix puis émet commence à chanter de ma voix de baryton « Va voir ailleurs » de Christophe Martichon (Christophe Mae pour les non-initiés). Je danse frénétiquement en rythme, ou presque. Sisi, ça me coute mais je le fais, dites, il est question de survie d’une espèce dont je suis la seule héritière. Je me sens investie d’une haute responsabilité, par altruisme pour la biodiversité, le bien de l’humanitén je le fais.

La brunasse se réveille et baille en me disant « Hiiii » sans ne montrer aucun signe d’étonnement, ce qui est franchement flippant. Cette fille est louche, avouez-le. Je continue mes étirements. Elle se présente, elle s’appelle Julia 26 hivers derrière elle et vient de l’Italie du Nord, Bynice plus précisément, à cote de Venise, elle a eu, comme moi, 24H de transport -mais elle n’a pas rencontré d’Alexandre-. Elle s’est engagée au sein du projet médical parce qu’elle est infirmière, elle va travailler dans une maison de vieux malades et va vivre ici pendant 3 mois.

Elle me demande comment je m’appelle, je lui demande de me décrire ses rapports aux extraterrestres. Quand même, si par altruisme je prête un coin de mon appartement a un démuni, j espère au moins être dédommagé d’un objet contraphobique, parce qu’il y en a beaucoup ici des extraterrestre. Elle me dit qu’elle a vécu 1an en Afrique et donc qu’elle en fait son affaire. C’est un bon point. Je finis par me rhabiller et courir au boulot avec une gueule presque aussi enfarinée que celle de ma nouvelle « coloc ».

 En arrivant au bureau, j’enlève mes chaussures et  transmets mon premier article à  Pudja. Pudja est la coordinatrice du projet journaliste, la tête pensante qui dispose du droit suprême d’accepter ou de refuser. Pudja est une indienne à la peau claire, au corps mince mais autoritaire. L’article apparaitra dans le « Madurai messenger» qui est un journal en anglais distribué gracieusement au sein des hôpitaux, écoles, etc. rédigé exclusivement par les volontaires comme moi.

Je vis ce que l’on peut appeler, « l’angoisse de l’exhibitionniste d’être vu par un voyeur ».

Ce principe décrit la tension au fond du ventre qu’implique l’exposition volontaire d’une partie de soi travestie, ce bâton que l’on tend et qui peut à tout moment se retourner par un coup dans la gueule. Ici, mon article dont le sujet est liberté de la nature en Inde.

 J’ai les mains moites et le cœur par terre.  Tout jugement qui porterait atteinte à mes mots, porterait atteinte à ma petite personne, indéniablement. La critique est ambivalente, elle construit, mais avant cela elle tue. Sisi, la critique tue, bien plus que la cigarette.

Première lecture de mes  lignes, elle sourit en disant « Nice » «  oooohhh gooood » je crois être sauvée. Ensuite, elle reprend une seconde lecture avec son stylo à plume gros comme un couteau de cuisine. Elle se met à crever mes mots un à un comme un charcutier lacère des bouts de chairs. Les nuances se perdent, les images se caricaturent et bien sur les critiques grasses, sont jetées à la poubelle.  J’ai l’impression de m’écraser sur une falaise lorsque je lui dis « yes, of couuuuurse, you’re right ».

Puis je le réécris encore et encore et encore et encore jusqu’au soir.

Je rentre au bord de la crise de nerf chez Latha’s family pour me jeter telle une affamée sur le plat de chappattis (sorte de crêpe épaisse) et sa sauce à base de noix de coco, d’ail, et de piment doux ET de riz. En engloutissant, je me marre avec Julia qui a l’air aussi déphasé que moi le premier jour et je lui promets de lui faire cadeau de 2 de 6 de mes étagères. La nuit me fait définitivement prendre des risques parce-que j’accepte de l’héberger jusqu’à ce que je lui ai trouvé un mari. Dès aujourd’hui, je reçois toutes vos candidatures messieurs, avec lettre de motivation, photos de profil et de face en petite tenue. Si vous êtes laid, mais passionné et excessif ne postulez pas. Je ne voudrai pas qu’il y ait conflit d’intérêt entre elle et moi. Pour le reste, les grands yeux noirs de Julia vous attendent.  

Bonus de l’épisode 6…

En allant me rincer les doigts, je me retrouve. Nez à nez. Avec. Un. Cou. Ple. De. Bla-ttes. (Vous savez déjà le sentiment qui m’assiège).

En revanche voici la scène, tout va très vite, j’hurle, je pleure, je chiale, je couine, je spasme. Je monte et saute comme un aliéné sur l’un de mes 3 lits pendant que Latha s’y colle avec une sorte de balais de sorcière, elle frappe, elle frappe dessus en poussant des cris jusqu’à ce que j’aperçoive au loin deux cadavres.

 Cet endroit n’est plus mon refuge, il a rompu le contrat de confiance qui nous liait : il ne m’a pas protégé de mes peurs, il n’a pas respecté sa parole, il m’a trahi. Julia peut tout prendre, je n’en veux plus. Je ne veux plus rien rien rien. Crève sal endroit de merde, tu as permis à des immondices de pénétrer ma douche, à présent tu ne représentes plus rien pour moi.

 

A l’épisode 8 vous comprendrez pourquoi les messages d’Alexandre n’apparaitront plus désormais.