Plus de chambre, plus de Latha’s family, plus de petit Jésus, nous sommes vendredi et les deux prochains jours je perds mes nouveaux repères pour une première excursion à 3h de bus de Madurai. Juliette (l’autre française) , s’est chargée de réserver les titres de transport et l’hôtel (merci guide du routard), pour 8 des volontaires motivés. Nous venons de France/d’Italie/d’Angleterre/de Hollande/ d’Allemagne/du Japon et du Danemark, mais le prix de l’anglais le plus pitoyable se dispute encore entre les deux françaises et la japonaise. Avec nos sacs à dos, nous allons à la rencontre de deux villes immondes qui ont édifiées en parfait contraste, des temples d’une beauté indécente. Un tableau globalement raturé et brouillonneux qui déploie une fulgurance, ça me rappelle un peu moi. Ces villes se nomment Tiruchchirappalli (Trichy pour les intimes) et Thanjavur (Tanjore pareil).
Direction Trichy -Une fois installés dans l’antre du bus et que le noir de la nuit a confortement prit place, un écran derrière le conducteur commence à diffuser un film-comédie musicale. La musique de ce film ou le film de cette musique a le son au bout du rouleau (comme mon cadeau de bienvenu de Julia dixit episode6). L’amour chante si bien, il est si simple, si facile, et si coloré, que le volume perd de son agressivité. L’insolvable et le complexe n’existent plus, le lapin sors du chapeau et je me laisse emporter comme une petite barque dans un courant tranquille. La bulle est hermétique à la fièvre endiablée de la route et des rues, le bus est seul au monde lorsqu’il s’enfonce dans la nuit. Je dévisage la lune au travers de la fenêtre, elle est pleine. Comme moi.
Arrivée à la gare de Trichy vers minuit et demi, la foule est si concentrée autour de la centrale de bus que l’endroit devient franchement étriqué tel un nid de fourmis autour d’un grain de riz sauf que je suis aussi une fourmis mais je veux quitter cet endroit de fou.
Je reprends contact avec cette réalité qui ne connait pas de repos : les petits épiciers dégagent une odeur de curry et de thé, des épais nuages de fumées se dégagent des petites échoppes qui cuisinent des sortes de crêpes pendant que d’autres vendent à même le sol des fruits et des légumes. Je ne suis plus surprise par la saleté ni par les mouches qui se mêlent à la nourriture, ce cadre est omniprésent. En revanche, je suis étonnée que les bonnes odeurs ne copulent pas avec la puanteur de la boue verte du sol comme elles le font ailleurs. La surpopulation scrute notre peau blanche moyenner le prix de 2 Rickshaws pour 8, direction l’hôtel hight point.
Le paysage défile ainsi que le véritable paradoxe contenue dans la réalité indienne. Il y a celle de l’homme et il y a celle de la ville.
L’indien est une personne modérée tandis que sa rue correspond à l’image que l’on se fait des champs de bataille. Les odeurs, les bruits, les couleurs sont maintenus constamment à saturation, cet environnement constitue, pour nous européen, un hymne à la décadence de l’équilibre. Parallèlement aux ruines se trouve l’indien et son flegme, l’esprit et son calme, sa tranquillité. Pauvres et sales, ces indiens ont des structures traditionnelles si opaques à toute considérations extérieures, que les douleurs maigres comme la colère ou la dépression ne font pas parti de leur quotidien, ils vivent c’est tout. La révolution ici n’aurait pas pu être autre que « non-violente » parce-que la violence ne fait pas parti de leur tempérament, en revanche elle est prégnante à chaque coin de rue et atteint son paroxysme sur la route.
Jean Teulé avec son magasin des suicides peut aller se rhabiller tant ses méthodes sont inefficaces en comparaison à la route indienne. La route est un moyen quasi-certain de se tuer facilement, et ce de façon tout à fait gratuite. Inutile de se ruiner pour du fugu à tokyo ou de gicler sur les railles de métro parisien, venez en Inde et poser votre pieds nu ou chaussé sur la route, c’est le moyen le plus sur d’être faucher comme un arbre par une tronçonneuse. Au milieu des Rickshaw, au milieu des vaches, des taureaux, des chèvres, des cochons, des milliards de moto abritant un homme, souvent un enfant devant et presque toujours une femme derrière. Cette population diverse et variée s’enfonce parfois en toute quiétude dans les trous du sol en cuvette recouverte de flaques verdâtres et profondes.
Je crois que je tiens à la vie parce-qu’ en arrivant, je me suis souvenue des derniers mots d’Alexandre avant de prendre l’escalator « n’oublies pas de regarder des deux cotés de la route ». J’ai regardé des deux cotés de la route et je suis devenue une fille audacieuse, le soir pour aller acheter un ananas et une bouteille de coca à l’épicier d’en face, j’attends qu’un indien du même bord que moi veuille bien traverser la jungle et je me colle à lui du premier pas jusqu’au bout (du rouleau ?). Pareil pour le retour, avec un sac en plastique en plus. Ce qui est embêtant c’est quand il n’y a personne ou quand mon temps de réaction est trop lent ou plutôt, pas suffisamment rapide. Je suspecte d’ailleurs que les épiciers des deux cotés de la route de mettre en place des paris sur mon temps d’attente.
Lorsque nous arrivons à l’hôtel, il est déjà une heure du matin, et nous découvrons une eau chaude et un support autre qu’une planche de bois pour dormir. Etrange chose férocement addictive.
Pendant mon sommeil je rêve qu’un verre (propre) de jus de clémentine et un petit croissant aux amandes m’attendent sur ma table de chevet. Oui, je suis une incorrigible optimiste et comme pour tous les optimistes, les réveils sont douloureux, surtout à 9h55 (le petit déjeuner terminant à 10h) quand un plat de nouille aux herbes et de riz en sauce curry te disent te bonjour. Je ne vous souhaite jamais pareille frustration, si nous étions la nuit, j’aurai chialé pendant des heures mais nous sommes le matin alors je m’accroche et réclame promptement un jus de clémentine. On me propose du jus de pastèque. Pourquoi pas.
Vers midi, tout le monde est prêt, nous embarquons dans une voiture ayant deux banquettes dépliables dans le coffre qui nous emmènent droit au temple Srirangam. A l’entrée nous enlevons nos chaussures mais je ne regarde plus les pieds maintenant, je regarde les têtes. Tel des chapeau, les indiens exhibent des sacs en plastiques bleus turquoises, de la même couleur que mon parapluie. Un indien différent des autres par sa capuche noire et pointue se propose d’endosser le rôle de guide 1heure de temps.
Durant la visite du lieu, le ciel se déchaine, la pluie explose comme une bombe nucléaire. Elle est torrentielle, le ciel est en crise, je suis au bord d’une phase maniaque. Le ciel est heureux ou en colère, je l’accompagne c’est irrépressible et de là commence un cercle vertueux dans lequel le ciel et moi conversons par torrents interposés, le reste de la terre n’étant que poussière. Je comprends donc la capuche du guide, mais je ne comprendrai jamais le pointu de la capuche.
Les temples sont comme des grandes salles d’attentes dans lesquels les hindous s’asseyent et mangent par terre en famille. Ils allument des cierges sous les peintures de Shiva, portent des fleurs au statues de vaches sacrées puis se rendent voir un prêtre pour qu’il porte à leur fronts une sorte de craie pilée blanche ou rouge censée repousser le diable, la fameuse marque des hindous. Bien sur les principales salles de prières sont placardées d’inscription « Only Hindous » et nous sont donc inaccessibles.
Les visites s’enchainent jusqu’au soir ou nous nous bourrons tous la gueule dans le bar de l’hôtel en hommage à Gandhi. Huriko ne supporte pas ses 2 verres, moi je chante/beugle à l’oreille de Julia toutes les chansons commerciales américaines qui passent dans le bar.
En allant me coucher je la remercie d’être ma super coloc’ de chambre d’hôtel et de maison d’accueil parce-que je me sens bien avec elle. Sur ces mots sérieusement alcoolisés et dégueulasses d’amour à l’autre, je m’endors une deuxième nuit dans un vrai lit.
Le lendemain j’évite la frustration du petit déjeuner, je n’y vais pas.
Direction Tanjore -nous reprenons la route direction Tanjore, le temple Brihadesvara classé au patrimoine de l’UNESCO, l’un des plus grands temples de l’Inde. L’édifice est écrasant, je ne suis même plus une fourmis, ce temple me donne l’impression de ne plus exister . Je décide moi aussi de porter la marque de fabrique indou et de m’aventurer réclamer à un prêtre une pincée de la craie pilée rouge pour mon entre-yeux, le prêtre a l’air de s’être rendu compte, comme moi depuis ma naissance, que mon visage est difforme parce qu’en me voyant tendre la main il me donne subitement le dos en marmonnant quelque chose en une langue qui à priori doit être tamoul. Evidemment ma main droite est occupée à porter mon appareil photo, je lui ai tendu ma main gauche. Je viens de faire une énormité alors j’ai envie de lui dire : je suis européenne, je connais le papier toilette, ma main gauche est l’égal de ma main droite. Mais je sais bien que le mal est déjà fait.
Sur la route du retour à Madurai, dans le siège aménagé du coffre, j’ouvre mon bouquin et je découvre Fantine et Tholomyes.
Fantine est innocente, rêveuse, ignorante. Tholomyes est mature, insolent et bon orateur. Elle l’aime, il a l’air de l’aimer et le lui prouve en lui offrant la plus grosse surprise de sa vie : il la quitte en lui laissant une lettre un jour de printemps. Elle est enceinte –Pause .
Je suis comme tous les hommes, je cherche le fautif de ma colère pour la retourner contre l’agresseur lui-même alors je me pose cette question: a qui dois-je casser la gueule ? à l’ignorance de la fille? à la perfidie du garçon ? Au rêves ou aux bons mots ? Je ne sais pas lequel est le plus détestable mais je suis convaincue que, pour le moment, Hugo nous incite à aimer ses personnages pour mieux souffrir de leurs déchéance. Il construit un saint homme, Monseigneur Bienvenue, puis le rend de plus en plus inconsistant en forçant le trait chaque mot davantage. Hugo construit les boucles gracieuses et dorées de Fantine, puis les cachent sous le fichu d’une maternité amère. Pourquoi? Qui a-t-il de beau à regarder la déchéance dans les yeux ? Peut-être y a-t-il du vrai, mais je ne suis pas sure d’être une adepte des romans pour le vrai, c’est la fonction des journaux, pas des romans.
Retour chez Latha’s family, retour sur ma planche de fois, retour de la compagnie des blattes dans la douche et des spasmes.